mercredi 29 juin 2016

Affaire Sonatrach-Anardarko/

Affaire Sonatrach-Anardarko/

Comme nous l'avons indiqué mardi soir dans un premier article explicatif mis en ligne sur notre site, Algérie-Focus et l'Association Nationale de lutte contre la Corruption (ANLC) ont épluché pas moins de 1150 contrats de gré à gré conclus entre 2011 et 2015 par le groupement Sonatrach-Anadarko qui gère depuis 1998 les gisements pétroliers du très stratégique bassin de Berkine dans la wilaya d'Illizi. 

Comme première étape, nous avons commencé par expertiser les contrats de l'année 2011. Nous avons étudié des contrats facturés en dollars dont les montants cumulés dépassent les 61 millions de dollars. Une autre partie des contrats de gré à gré en notre possession sont facturés en euros. Leur valeur cumulée dépasse les 15 millions d'euros. La majorité des contrats de gré à gré du groupement Sonatrach-Anadarko sont facturés en dollars. Force est, néanmoins, de constater que plusieurs autres sont proposés en dinars. En tout et pour tout, nous avons en notre possession plus de 326 contrats de gré à gré conclus en 2011.

Le gré à gré et le fonctionnement interne de Sonatrach 

Avant d'entrer dans le vif du sujet, quelques explications s'imposent. Qu'est-ce que le gré à gré ? Il s'agit de contrats portant sur des marchés sur lesquels la transaction est conclue directement entre le vendeur et l´acheteur. La transaction se fait sans aucune procédure de concurrence ni appel d'offres. La passation des marchés publics en Algérie en gré à gré est régie par un cadre réglementaire très strict. Le recours au gré à gré est rendu possible dans des cas très précis cité et expliqué par la loi en Algérie comme la situation d'urgence exigé par le projet en cours, la situation de monopole d'un acteur économique donné. Sauf que le groupement Sonatrach-Anadarko jouit d'un statut juridique différent des autres entreprises ou institutions publiques.

Cependant, Halim Feddal, le secrétaire général de l'ANLC explique à Algérie-Focus que "le  groupement Berkine composé par Sonatrach/Andarko est constitué conformément  au  code du commerce algérien en respectant les articles 796…799".  "Le groupement est lié par  un contrat signé  conjointement par les deux parties et il est soumis au droit algérien, à savoir «le droit privé». La SONATRACH a adapté ses règles de passation de marchés au code des marchés publics 10-236 par directive relative à la passation des marchés de fournitures, de travaux, de fourniture et de montage d'installations, de services, d'études et de services de conseil. La directive intitulée (R17) publiée le 26 janvier 2011, qui remplace celle du 8 avril 2010, prend en charge les nouvelles règles introduites dans le décret présidentiel n°10-236. La  R17 reprend les dispositions des articles 43 et 44 du code des marchés publics en redéfinissant les cas qui autoriseraient le recours à la procédure de gré à gré  dans l'article 2 de la directive R17", détaille Haim Feddal qui travaille avec les membres de son association sur de nombreuses affaires de corruption ayant entaché des marchés publics et privés.

Notre interlocuteur note dans ce sillage que l'article 2 de la directive R17 stipule que : le recours au  gré à gré simple se fait exclusivement dans les cas suivants : situation de monopole, urgence impérieuse, approvisionnement urgent, projet prioritaire d'importance nationale. Il faut pour valider ces contrats de gré à gré l'accord du Conseil d'Administration. Qu'est-ce qu'il faut donc retenir de toutes ces explications théoriques et réglementaires ? La Sonatrach et ses associés disposent, certes, d'un statut différent qui leur permet de ne pas se soumettre au code des marchés publics. Mais leur fonctionnement interne est régi par un code interne qui s'inspire largement des dispositions de ce code de marché public. Le gré à gré demeure ainsi très encadré et obéit à des critères très précis.

De sérieux soupçons de corruption 

 De prime abord, lorsque nous avons étudié les contrats en notre possession, les marchés conclus en 2011 par Sonatrach/Anadarko respectent ce cadre réglementaire… en apparence. En apparence seulement parce que de nombreux marchés attribués comportent des bizarreries étonnantes et laissent entrevoir de sérieux soupçons de corruption. Décryptage.

 La demande de gré à gré numéro 81 approuvée par les administrateurs de Sonatrach/Anadarko et datant de 2011 nous apprend qu'un marché a été accordé à Cieptal Catering. Le montant de ce marché est évalué à 72,000,000 Da. Pour justifier la passation de ce marché en gré à gré, le document en notre possession mentionne un appel "à la concurrence qui s'avère infructueux". Pour l'heure, rien n'est anormal ou irrégulier. Sauf que nos investigations nous apprennent que Cieptal Catering, spécialisée dans la vente et réalisation de prestations de restauration collective, basée à Hassi-Messaoud, est black-listée depuis plus de 5 ans par la Banque d'Algérie pour infraction à la réglementation des changes.  Des fonds français sont actionnaires de Cieptal Catering et ces actionnaires ont tenté de transférer leurs dividendes en devises en violant la réglementation des changes de notre pays, nous apprennent nos sources. Dans ces conditions, l'attribution d'un marché à une société black-listée par la Banque Centrale soulève de nombreuses questions sur la transparence de cette procédure surtout si l'on sait que Catering Cieptal a décroché au cours de l'année 2011 de nombreux autres marchés avec le groupement Sonatrach/Anadarko comme nous le démontre la demande de contrat approuvée et portant le numéro 83.

Autres anomalies, autres soupçons. En 2011, le groupement Sonatrach/Anadarko a dépensé pas moins de 200 milliards de centimes pour assurer le simple et unique contrôle technique de 154 véhicules. Cela signifie que le contrôle technique de chaque véhicule a coûté plus d'un milliard de centimes ! Une somme astronomique qui a suscité l'étonnement des observateurs spécialisés dans le contrôle et réparation des véhicules interrogés par nos soins à ce sujet. La demande de contrat gré à gré numéro 18 relate que les contrôleurs de l'Etablissement National de Contrôle Technique Automobile (ENACTA) se sont déplacés au niveau des sites du bassin de Berkine entre le 15/03 et 22/03/2011. Pour justifier la procédure du gré à gré, les administrateurs expliquent que l'ENACTA détient une situation monopolistique. Ce qui est compréhensif. En revanche, la somme 200,000,00 Da dépensée en une semaine pour un simple et ordinaire contrôle technique suscite de nombreuses interrogations. Un tel marché pourrait bel et bien être "gonflé" pour faire passer des opérations de surfacturation.

Par ailleurs, le groupement Sonatrach/Anadarko a accompli de nombreuses acquisitions de véhicules dans des conditions très sombres. A titre d'exemple, la demande de contrat gré à gré approuvée et portant numéro 211 nous indique qu'un véhicule Pick-Up double cabine a été acheté en 2011 pour les besoins des agents de surveillance des sites du bassin de Berkine. La valeur de ce véhicule est de 306,900 Da. Jusque-là rien d'anormal. Sauf que ce marché a été passé en gré à gré prétextant que "les prestations ne peuvent être satisfaites que par un partenaire donné en raison d'un lien technologique direct préexistant". Or, ce marché n'a pas été attribué à une quelconque marque de construction de véhicule Pick-Up réputée dans le monde entier. Le marché a été attribué à un opérateur dénommé "Lever de Soleil" ! Un simple privé basé à Ouargla spécialisé dans les Transports terrestres et la location de longue durée de véhicules automobiles. Quel est le lien technologique dont peut se targuer un simple loueur de véhicules ? Ce marché douteux aurait pu être géré par un simple appel d'offres pour que la transaction se déroule en toute transparence. Mais les administrateurs de Sonatrach et Anadarko ont fait un autre choix. Un choix qui soulève encore de nombreux soupçons.

Le plus étrange dans les contrats de gré à gré validés par les managers du groupement Sonatrach/Andarko demeure les motifs avancés pour justifier l'application du gré à gré y compris sur des tâches routinières qui ne relèvent d'aucune urgence particulière. A titre d'exemple, la demande de contrat numéro 248 nous apprend que le gré à gré a été utilisé en 2011 même pour un marché de nettoyage de dalle de moquettes commerciales au niveau des bâtiments administratifs du groupement ! Les administrateurs de Sonatrach/Anadarko sont allés jusqu'à Alger pour chercher une entreprise qui nettoie les bureaux du service de maintenance. En plus, le marché a été facturé en dollars alors que l'entreprise est algérienne et son siège est situé à Alger. La loi interdit dans ce cas des facturations en devises. Et pour clore le tout, ce contrat explique que cette société algéroise de nettoyage de de dalles de moquettes détient "une situation monopolistique" ! Qui peut croire qu'à travers toute l'Algérie, une seule société est capable de nettoyer des moquettes ? Une explication absurde qui laissent entrevoir là-aussi de nombreuses soupçons.

D'autres marchés ont été attribués tout simplement à "des fournisseurs inconnus" et dont le nom n'est même indiqué dans les demandes de contrats ! La demande numéro 254 nous apprend ainsi que plus de 2,5 milliards de Da ont été accordés à un "fournisseur inconnu" pour réparer une piste d'une plate-forme de forage. Comment peut-on approuver un contrat qui va attribuer un marché aussi important à un prestataire dont l'identité n'est même pas dévoilée ? En plus, dans ce document on nous explique que le gré à gré est justifié parce que l'appel à la concurrence s'avère "infructueux". Et dans ces conditions, pour ne pas avoir désigné la véritable identité de celui qui a fini par remporter ce marché ?

D'autres contrats ont été conclus en gré à gré sans présenter la moindre justification comme nous le démontre la demande numéro 288 où un marché de plus de 180 mille Dollars pour l'achat de systèmes de surveillance a été attribué sans qu'il soit inséré dans la moindre catégorie de justification, à savoir l'urgence, le lien technologique ou la situation monopolistique.

Il ne s'agit-là que de quelques exemples de ces contrats douteux et étranges qui ne font preuve d'aucune transparence. Quoi qu'il en soit, le mode de passation de ces marchés renseigne sur le caractère sombre des marchés attribués et conclus par les administrateurs de Sonatrach/Andarko. Ce mode de gestion intriguant peut cacher en vérité des affaires de corruption sur lesquelles la justice algérienne devrait se mobiliser rapidement. Algérie-Focus poursuit ses investigations et publiera, bientôt, les prochaines parties de sa longue enquête.

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Source : Algérie Focus
Date : June 29, 2016 at 12:32PM

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