dimanche 25 octobre 2015

Diplomatie algérienne/ L’Afrique au cœur et l’Occident à l’esprit

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L'Algérie, avec et après l'indépendance, a longtemps nourri des idéaux progressistes imprégnés d'une forte dimension morale : il s'agissait, modestement, d'émanciper l'Afrique, et d'être le fer de lance de la libération de la tutelle occidentale. Jusqu'à la fin des années 1980, surfant sur la légitimité mythique de sa guerre d'indépendance, la Nation s'est installée parmi les leaders politiques et idéologiques du continent. Non-aligné, bien que plus souvent soviétique qu'atlantiste, âprement tiers-mondiste, anti-impérialiste, tournée vers le Sud, vers le Monde arabe et le grand continent. Qu'en est-il aujourd'hui ? L'Etat a-t-il trahi ses idéaux d'antan ?

Les nationalistes algériens ont trouvé, avant et pendant la guerre d'indépendance, beaucoup de soutien de la part des multiples mouvements et mouvances politiques du continent africain. Leur relation à ces mouvements s'est perpétrée de diverses manières depuis les années 1960.

Le politologue Slimane Chikh, en 1968, dans un article intitulé « L'Algérie et l'Afrique : 1954-1962 », montre que l'histoire de l'indépendance algérienne a servi de modèle pour un grand nombre de mouvements indépendantistes. Jusqu'aux années 1980, le pays a soutenu les mouvements indépendantistes, s'est fait supporter et médiateur, et a joué le rôle d'un leader régional qui convenait aux objectifs de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA).

Ce n'est en effet pas un hasard si l'Algérie fut parmi les pères fondateurs de l'OUA, et joua un rôle majeur dans la promotion de valeurs au sein de l'organisation qui firent la grandeur de sa politique étrangère. Les deux principales valeurs promues étaient les suivantes : « l'inviolabilité des frontières héritées de la période coloniale » et la « non-interférence d'un Etat membre dans les affaires internes d'un autre Etat membre ».

En soutenant la dimension émancipatrice et anti-impérialiste de l'OUA, l'organisation africaine s'engageait à supporter les politiques quelque peu autoritaires du gouvernement algérien.

Le chercheur Yahia H. Zoubir, de la Kedge Business School, dans un article récent (Octobre 2014) de la revue « Mediterranean politics », montre bien en effet que l'activisme de l'Algérie au sein de l'OUA a servi « de mécanisme pour légitimer les politiques socialistes internes et sa politique étrangère radicale à l'étranger ».

Dans cette perspective, Saïd Haddad, chercheur au CREC de Saint-Cyr, argue dans un article de 2012 de « Dynamiques internationales », que les intérêts algériens se sont couplés à la promotion d'un système économique avec une forte dimension souverainiste, notamment à travers la mise en avant du 'nouvel ordre économique international' (NOEI). Le projet du NOEI fut en effet adopté lors du 9ème sommet de l'OUA, en Juin 1971. Une des grandes résolutions de cet ordre évoquait « le droit inaliénable de tous les pays et Etats africains en particulier, d'exercer leur souveraineté permanente sur les ressources naturelles ».

L'Afrique était évidemment, à cette époque, une option géographique stratégique, alors que l'Egypte de Nasser occupait une place de choix dans le monde arabe, mais seule la dimension diplomatique de cette relation avec le grand continent n'a semblé véritablement se développer au cours des années. Les échanges économiques entre l'Algérie et les pays au sud du Sahara sont en effet restés très faibles, et l'économie algérienne, en plus de son manque de complémentarité avec les pays du Sud, est toujours fortement dépendante de la demande des pays du Nord. La structure politique de l'Etat rentier l'empêche de transformer son discours diplomatique en des actions économiques concrètes.

Le virage du 11 septembre 2001

Pendant les années 1990, l'Etat a perdu de son influence, et sa diplomatie de son caractère. Dans cette perspective, le terrible 11 septembre américain fut une opportunité diplomatique pour l'Algérie, qui a retrouvé un peu de cette influence déchue en affirmant une forte politique anti-terroriste au Maghreb. Ce fut l'occasion de nouveau liens entre l'Algérie et l'Occident, et notamment les Etats-Unis, mais cela s'est-il fait au détriment de certaines relations bilatérales avec l'Afrique ?

C'est l'argument de Zoubir, argument qu'il relativise cependant, en montrant les efforts récents de la diplomatie algérienne, depuis 2013, pour retrouver un rôle important au sein des structures de l'Union Africaine. Néanmoins, et c'est toute l'intelligence de la diplomatie algérienne, l'Etat a continué d'utiliser l'OUA comme d'une plateforme pouvant soutenir ses intérêts nationaux, notamment en ce qui concerne la lutte internationale contre le terrorisme, et toute la force de l'argument de cette chercheuse réside justement dans cette démonstration.

Alors que l'OUA a servi la politique anti-impérialiste algérienne jusqu'aux années 1980, l'Algérie a ensuite utilisé l'organisation, dès la fin des années 1990, afin de promouvoir sa position sur le terrorisme. La manœuvre diplomatique fut bien entendu bien plus fine qu'elle n'y parait. En considérant le terrorisme comme un phénomène transnational, comme « une menace sérieuse à l'encontre de la stabilité et de la sécurité des Etats et de leurs institutions nationales, et une issue majeure pour la paix et sécurité internationales », Zoubir explique comment l'Etat algérien, grâce à la structure de l'OUA, a pu renforcer son rôle antiterroriste  et affirmer cette nouvelle position à un niveau global bien plus large, notamment dans le cadre des Nations Unies.

D'ailleurs, le chercheur démontre notamment que c'est grâce au soutien financier de l'Union Européenne, ainsi qu'à l'aide des principaux partenaires de l'Etat algérien, l'Afrique du Sud, l'Ethiopie, le Nigéria, qu'un consensus fut trouvé sur les questions liées au terrorisme. La manœuvre consistait à montrer l'imbrication d'une grande majorité des problèmes de criminalité du continent : prolifération des armes de destruction massive, prolifération illégale d'armes légères, trafic de drogue, blanchiment d'argent etc.

De plus, il est intéressant d'observer la compétition entre les pays « arabes » pour le leadership africain. C'est en effet dans un contexte de concurrence avec l'Egypte, la Libye et le Maroc, qui tentent progressivement de s'affirmer sur le continent africain, que se tient le 35ème sommet de l'OUA, en Juillet 1999, et qui va mettre en avant la nouvelle dynamique de la diplomatie algérienne, tournée donc autour de la lutte anti-terroriste, alors que celle-ci sort de la décennie noire.

En simplifiant, on ne pourrait évidemment pas s'empêcher de penser que la politique étrangère de l'Algérie est dictée par l'idéologie économique qu'elle embrasse. Un temps elle fut tournée vers l'Afrique pendant la période « socialiste » de l'Etat, un autre elle regarde avec des yeux doux les Etats-Unis et l'Occident, alors que le pays est soudain plus favorable aux vents du néo-libéralisme.

Ce regard tourné vers les pays du Nord, et la dépendance accrue qui en résulte, s'explique aussi par la triste solitude ressentie pendant la décennie noire. Pour Zoubir, la reconnaissance de la menace terroriste comme enjeu majeur de la politique étrangère manifeste la volonté d'adopter une diplomatie plus flexible et pragmatique. C'est aussi le symbole d'un changement plus global de l'idéologie sous-jacente aux principales politiques du pays.

Nouveaux choix économiques et nouvelles amitiés idéologiques

En effet, le début des années 2000 est révélateur des nouveaux choix économiques et des nouvelles amitiés idéologiques de l'Algérie. En 2001, l'Etat algérien est l'un des cinq fondateurs d'un « nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique », à travers le « New Economic Partnership for Africa's Development » (NEPAD). Parmi les grands objectifs du NEPAD se trouve l'intégration du continent africain dans l'économie 'globale', c'est-à-dire une vision tout à fait différente de la mondialisation que celle développée par l'Algérie jusque dans les années 1990. Il ne s'agit plus de défendre la souveraineté économique des Etats, ou de réduire les inégalités Nord-Sud, mais surtout de promouvoir un climat favorable aux investissements économiques privés et étrangers.

Comme le montre Haddad, plusieurs évènements marquent les nouveaux liens de l'Algérie avec l'Occident : l'intégration au dialogue méditerranéen de l'OTAN en 2000, l'accord d'association avec l'UE en 2001, les différentes visites en France et aux Etats-Unis, les processus de négociation et d'adhésion à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

Dans les faits, au-delà des discours diplomatiques, les relations économiques avec l'Afrique ressemblent beaucoup à celles observées pendant les années 1970 et 1980. L'Etat algérien reste fortement dépendant des économies du Nord, de leur demande, et le niveau des échanges avec l'Afrique subsaharienne n'a toujours pas décollé.

La diplomatie algérienne vis-à-vis de l'Afrique reste une politique flexible et pragmatique, mais l'intelligence de ses beaux discours s'est peu accompagnée, depuis l'indépendance, d'actions économiques concrètes, alors que la structure de son économie et de sa rente pétrolière l'orientent naturellement vers les pays du Nord. La crise financière qui se profile, qui pourrait être l'opportunité d'une diversification de l'économie et du système productif algériens, pourrait-elle aussi offrir de nouvelles ambitions à la politique étrangère algérienne, et accompagner sa diplomatie africaine d'une véritable vision économique pour le grand continent ?

Tahar S.

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Source : Algérie Focus
Date : October 25, 2015 at 12:30PM

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