mercredi 25 novembre 2015

Décryptage/Une guerre est-elle possible entre la Turquie et la Russie ?

Décryptage/Une guerre est-elle possible entre la Turquie et la Russie ?

Un avion russe a été abattu à la frontière entre la Syrie et la Turquie par l'aviation turque, et si on ignore encore les véritables circonstances de l'évènement, ni la position exacte de l'avion lorsqu'il a été détruit, on peut d'ores et déjà dire que la décision turque va avoir d'importantes conséquences sur le jeu des alliances dans cette « guerre » contre Daech, et cela pose, d'ailleurs, un certain nombre de questions sur la stratégie turque derrière ce curieux mouvement tactique.

Il faut d'abord signaler que les relations économiques, notamment dans le domaine énergétique, sont très fortes entre la Russie et la Turquie. D'après Ian Bremmer, directeur d'Eurasia Group, un influent cabinet de conseil spécialisé dans le risque politique, « la Russie est le plus gros fournisseur de gaz de la Turquie, 20% de l'énergie totale consommée venant de la Russie ».  Selon le politologue américain, les relations économiques entre les deux pays sont importantes, et le contexte actuel, avec l'absence d'élections proches, ne devrait pas encourager les deux Etats à une surenchère diplomatique et militaire. Jacques Sapir, économiste et spécialiste de l'économie russe, ajoute qu'aux relations énergétiques, symbolisées par le gazoduc passant par la Mer Noire, se superposent les nombreuses entreprises turques présentes sur le territoire russe, ainsi que le tourisme russe qui participe vivement à l'économie turque. C'est, d'ailleurs, pour ces raisons que Jacques Sapir s'interroge : que cherche donc la Turquie avec cette étrange opération anti-russe ?

Il faut rappeler que la Turquie est aussi liée à la Russie qu'elle semble l'être à Daech. D'après Pierre Terzan, directeur de « Pétrostratégies », dans un article paru dans LaLibre.be, le pétrole qui finance massivement l'organisation terroriste est raffiné et commercialisé depuis le centre de la Turquie. L'article du quotidien belge montre que le gouvernement turc est parfaitement au courant, et qu'il « laisse faire ».  M. Terzan, interrogé par Raphaël Meulders, explique que « si la Turquie ferme hermétiquement sa frontière avec les zones occupées par Daech, l'Etat islamique s'écroule en l'espace de quelques mois faute de revenus, mais aussi d'hommes et d'armes ». Il ajoute que « la Turquie a, jusqu'ici, été un 'allié objectif' de Daech. Le gouvernement Erdogan exercerait ainsi un 'chantage constant' envers les Américains et les Européens, auxquels il reproche d'armer son ennemi numéro 1, les Kurdes ».

De plus, dans un article de Reuters, John Wight évoque le travail de David L. Phillips, de l'université Colombia, qui révèle des liens entre la Turquie et Daech qui vont bien au-delà de simples relations économiques. D'après Phillips, le gouvernement turc aide et a aidé l'organisation terroriste dans le recrutement et la formation militaires, ainsi que dans le service de renseignements. La question kurde est bien évidemment au cœur de toutes ces problématiques, car c'est bien cette communauté kurde, jusqu'ici la plus efficace contre Daech, que la Turquie cherche à repousser.

Dans cette perspective, la charge contre le 'nouvel ennemi' russe pourrait être considérée comme un petit message destiné aux avions russes et américains, qui, d'après Sapir, « s'attaquent systématiquement à ce trafic en bombardant les colonnes de camions de Daech qui transportent le pétrole jusqu'à la frontière turque ». On ne peut dés lors que s'étonner de l'audacieux culot du recours de la Turquie à l'arbitrage de l'OTAN, qui a scandalisé le président russe, Ankara n'ayant pas tenté de contacter Moscou avant d'en appeler à l'alliance militaire occidentale.

Le message de Poutine à Sotchi, lors d'une rencontre avec le roi de Jordanie Abdullah II, peu après l'incident, est  clair à ce propos : « Daech a beaucoup d'argent, des centaines de millions, voir de milliards, provenant de la vente de pétrole, et en plus ils sont protégés par l'armée d'une nation entière ».  Il a ajouté que la Turquie « a toujours été traitée [par la Russie] non seulement comme un proche voisin, mais comme une nation amie » et que cet incident allait avoir de graves conséquences sur les relations entre les deux Etats d'Eurasie.

Cet évènement met en lumière la relation complexe de l'Occident à l'égard de la Turquie, qui doit cesser si la « coalition » entend véritablement mener une guerre contre Daech. Comme le montre John Wight dans son article pour Reuters, la duplicité occidentale à l'égard de la Turquie fait triste figure à côté du mépris ostensible que manifestent depuis des mois les puissances occidentales à l'égard d'un potentiel allié russe. Le soutien que cherche la Turquie auprès de l'OTAN cherche à mettre la pression sur la Russie, alors même que celle-ci semble être le seul 'allié objectif' dans cette guerre contre Daech. Plusieurs experts soulignent que les puissances européennes doivent sérieusement reconsidérer le jeu dangereux des alliances actuelles, et arrêter le copinage indécent avec les prétendus amis « turcs », sans parler des saoudiens et autres qataris. Comme le disait récemment Olivier Berruyer : « qu'ils aillent tous au diable ! ».

Tarek S.W.

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Source : Algérie Focus
Date : November 25, 2015 at 09:52AM

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